Contemporain

La vraie vie d’Adeline Dieudonné : poésie du cauchemar

Je ne sais pas vous, mais moi la rentrée littéraire ça a tendance à me perdre…

521 sorties prévues cette année 2021, pour combien d’auteurs et d’autrices qui vont se démarquer ? Alors je ne blâme pas l’événement en tant que tel, au contraire. Je dois même dire que voir autant de livres sur les étales de nos librairies et de lecteurs curieux, ça me fait réellement plaisir. C’est juste qu’avec tout cela, je ne sais plus où donner de la tête.

Je cherche la littérature noire en priorité et souvent, je me rabats sur les sorties des années précédentes. C’est pour cela que je vais vous parler de La vraie vie d’Adeline Dieudonné publié en 2018 aux éditions de l’iconoclaste.

La 4eme de couverture

C’est un pavillon qui ressemble à tous ceux du lotissement. Ou presque. Chez eux, il y a quatre chambres. La sienne, celle de son petit frère Gilles, celle des parents, et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. La mère est transparente, amibe craintive, soumise aux humeurs de son mari. Le samedi se passe à jouer dans les carcasses de voitures de la décharge. Jusqu’au jour où un violent accident vient faire bégayer le présent.
Dès lors, Gilles ne rit plus. Elle, avec ses dix ans, voudrait tout annuler, revenir en arrière. Effacer cette vie qui lui apparaît comme le brouillon de l’autre. La vraie. Alors, en guerrière des temps modernes, elle retrousse ses manches et plonge tête la première dans le cru de l’existence. Elle fait diversion, passe entre les coups et conserve l’espoir fou que tout s’arrange un jour.

La vraie vie : poésie du cauchemar

Dire que je craignais de lire un roman d’une rentrée littéraire, celle de 2018 en l’occurrence, était un doux euphémisme et pourtant il ne m’a fallu que d’une seule phrase pour savoir que La vraie vie allait me plaire. Il faut dire que le récit d’Adeline Dieudonné débute ainsi : « A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents, et celle des cadavres. » Il ne m’en fallait pas plus pour être conquis. Et pourtant, on ne peut pas dire que l’autrice nous plonge directement dans l’enfer de son récit. Celle-ci y va de son rythme tranquille, afin que l’on puisse découvrir et s’attarder sur les personnages. 

Tout d’abord, il y a le père, chasseur de gros gibier et qui, quand il n’est pas en safari, boit son whisky devant le JT en réclamant le plus grand calme. Il y a également la mère, terriblement absente, une coquille vide qui doit subir les violents assauts de son mari. Il y a aussi le petit frère, Gilles, qui a perdu son sourire après avoir été témoin d’un drame violent. Et puis, il y a la narratrice, espiègle, rêveuse, intelligente, à l’imagination débordante et qui doit passer au travers des crises et des coups. Tout ce petit monde vit dans Le Démo, un lotissement où toutes les maisons se ressemblent à l’extérieur et dont la plupart des habitants s’ignorent, se jalousent et ferment les yeux sur ce qui se passe à l’intérieur de chez les voisins, une fois que la porte est fermée.

Dans cette vie hostile, il y a la hyène qui observe…

C’est dans cet univers sinistre que survit notre narratrice et celle-ci fera tout pour oublier son quotidien. Elle traîne son frère partout avec elle, notamment dans la casse auto du coin où ils vivent de multiples aventures et attendent désespérément chaque jour le passage du glacier. Si l’autrice nous avait donné quelques indices quant à la violence qui régnait au quotidien au sein de cette famille, c’est bien avec l’accident que tout bascule, La vraie vie se transformant ainsi en véritable poésie du macabre et du cauchemar. Pourtant, on ne peut pas dire qu’Adeline Dieudonné ajuste sa plume pour nous faire vivre un enfer, bien au contraire. Celle-ci reste, à l’image de sa narratrice, solaire et espiègle. Bien évidemment, la romancière ne se prive pas de nous montrer ce qu’est réellement le quotidien de cette famille. Celui-ci est sombre, étouffant, cauchemardesque, brutal, cruel et on ne peut que serrer les poings et attendre le point de non-retour…

Il n’y a aucun doute à avoir, La vraie vie est un pur roman noir qui nous plonge dans les violences quotidiennes qui se déroulent au sein de certaines familles. Bien que l’autrice nous épargne de nombreux détails, il est certain que le roman pourra en mettre mal à l’aise plus d’un. Cependant, on peut également voir le roman d’Adeline Dieudonné comme un récit initiatique d’une très grande beauté. Difficile de croire que nous sommes face à un primo-roman, tant la romancière déploie avec grâce toute sa rage au travers de cette adolescence balayée en quelques pages. Cinq années de cauchemar où réside l’envie de se battre, de s’en sortir, de protéger son frère des griffes de cet homme. La petite fille devient une véritable guerrière de l’ombre, qui n’hésitera pas à croire en ses rêves pour effacer le passé. D’une petite fille, nous passons à une adolescente qui s’émancipe petit à petit, qui découvre un autre aspect de la vie, avec les premiers émois, les premières pulsions, l’appel de la chair. 


Vous aurez donc compris que La vraie vie est le genre de roman qui reste graver un long moment dans notre esprit. Adeline Dieudonné nous livre un récit poétique, initiatique, plein de rage et de noirceur. Un primo roman d’une puissance évocatrice sans nom, dont il sera difficile d’en sortir. 


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13 réponses »

  1. Je l’ai beaucoup aimé, mais je suis passée à côté du coup de cœur ! (Et pour la petite histoire, il est arrivé pareil à mon marchand de glace d’enfance ! Dans son atelier… du coup, l’auteur étant une compatriote, j’ai tiqué sur l’utilisation de cette histoire, même si je ne peux pas garantir que l’idée vienne de là !)

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  2. J’avais apprécie le roman à l’époque tout en trouvant parfois qu’on tombait dans une surenchère de violence, mais j’aime beaucoup ces mots « La vraie vie se transformant ainsi en véritable poésie du macabre et du cauchemar » pour désigner la tournure prise par la vie de la protagoniste. Et je suis d’accord, le roman marque !

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    • Alors moi qui suis habitué à la violence dans les romans, j’ai trouvé cela assez soft. On ressent bien sûr toute la brutalité qui se joue, mais la plume de d’Adeline Dieudonné permet d’aller plus loin, de trouver une résonnance ailleurs. En tout cas, merci d’avoir pris le temps de me lire et de m’écrire ton avis 🙂

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  3. Quelle belle chronique ! Je ne connaissais ce roman que de nom, mais tu me donnes vraiment envie de le découvrir pour en savoir un peu plus dessus.

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    • J’espère que tu vas te laisser tenter par cette lecture, parce qu’elle voit vraiment le détour. Si je ne dis pas de bêtise, La vraie vie est également disponible chez Le livre de poche.

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  4. J’avais énormément aimé ce roman lors de sa rentrée littéraire. Une petite perle noire qui se sert du conte et de lumière pour mieux montrer un envers du décor sinistre et terriblement sombre. La poésie rend tout plus contrasté, plus terrible, presque vers l’abstrait (je demeure marquée par ce frère dévoré par l’ombre et que la soeur essaye de ramener). Poésie du cauchemar, je n’aurais pas pu dire mieux pour ce roman assez viscéral.
    Je suis beaucoup moins optimiste face à la rentrée littéraire de cette année : il n’y a quasiment rien qui me tente !Trop de romans, trop de thèmes déjà vus…

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