Cinéma

Lords Of Chaos de Jonas Åkerlund (2018)

Au commencement, le blues. Celui-ci a engendré un fiston un peu fou qu’on a nommé le rock, qui lui-même a donné naissance à plusieurs genres encore un peu plus fou comme le Hard Rock ou encore le punk et qui ont eux-mêmes apportés un enfant dégénéré, le Metal. Bon, l’idée est là bien que beaucoup raccourcie et il me faudrait des heures et des heures de recherches pour vous parler de tout cela. En tout cas, le genre du Metal n’était pas encore assez extrême pour certaines personnes et cela a donné vie à plusieurs branches plus brutales, encore plus torturées, dont le Black Metal en fait partie.

Si le genre du biopic musical a le vent en poupe depuis un certain temps et quelque soit le style de musique évoqué, il faut quand même noter que la scène extrême du metal était quand même aux abonnées absentes. Souvent moqué pour son attitude, le Black Metal est souvent pris à la légère, comme en atteste le long-métrage horrifique Deathgasm, sauf que le black bah, il ne faut pas le prendre comme cela… Parce que clairement, cette scène est sans aucun doute celle qui a fait couler le plus d’encre, la plus complexe, la plus controversée et la plus violente. On oublie la guerre West Coast / East Coast et on entre dans les églises brûlées, les meurtres, le satanisme le plus pur et dans un nationalisme des plus dangereux. 

« Basé sur la vérité, les mensonges et ce qui s’est réellement passé. »

Dans les années 1980, Øystein Aarseth, jeune guitariste novateur, fonde son groupe nommé Mayhem. Rapidement, le succès du groupe deviendra central sur la scène black metal en Norvège. Sa rencontre avec Varg Vikernes dit Count Grishnackh, homme solitaire et mystérieux derrière le projet musical Burzum, les amènera à commettre l’irréparable.

Lords Of Chaos : une certaine idée du biopic

Lords Of Chaos, c’est avant tout un livre écrit par Michael Moynihan et Didrik Søderlind qui se nomme Lord Of Chaos : “The Bloody Rise Of Satanic Metal Underground” et qui revient sur la naissance d’un des sous-genre le plus marginal, le plus mystique et surtout le plus hermétique (je n’arrive toujours pas entrer pleinement dans les profondeurs de cet art, même après plusieurs années de tentative). L’idée d’en faire un film est arrivée assez tardivement et si le nom de Sono Sion a été évoqué, c’est bien Jonas Åkerlund qui prendra la place de réalisateur et on ne pouvait rêver mieux pour parler de ce sujet.
Le projet Lords Of Chaos est lancé, mais il ne sera pas forcément question ici de l’Histoire du Black Metal au sens large, mais bien de la naissance de celui-ci, grâce à Euronymous, guitariste de Mayhem.

Si le choix de Jonas Åkerlund est logique, ce n’est pas parce que celui-ci est un clippeur reconnu dans le milieu depuis ses nombreuses collaborations avec Madonna, Lady Gaga, Beyoncé et surtout Rammstein, c’est bien parce que celui-ci fût le batteur du groupe Bathory, un des autres fers de lance du Black Metal à cette époque. A-t-il le recul nécessaire pour parler de la naissance de Mayhem et surtout des controverses qui se cachent derrière ? c’est ce que nous allons voir avec sa vision de Lords Of Chaos.

Jonas Åkerlund fait ici le choix de ne pas se concentrer sur le côté musical – sans doute ,car les membres de Mayhem et Varg Vikernes ont vivement critiqué le projet – afin de se concentrer sur l’humain et nous montrer que les mythes se sont mélangés à la vérité. Autant dire que le cinéaste assume avec intelligence ce choix dès le début avec son premier carton : “inspiré de faits et de mensonges”. On verra par la suite de ce long-métrage que cette idée de mélanger la vérité avec quelques inventions, voire modifications, fonctionne parfaitement avec Euronymous, guitariste de Mayhem, qui passe son temps à mentir sur les faits, sur ses actes et sur sa responsabilité dans la sphère du Black Metal. Poseur ou génie marketing ? Jonas Åkerlund peut jouer avec cette idée sans pour autant salir l’image des mythes de cette scène si controversée… Ce choix entraîne forcément le spectateur novice à rester sur le qui-vive, afin d’essayer de voir là où le mensonge s’arrête et là où la vérité semble trafiqué. Bien évidemment, le fan de la première heure s’amusera à voir toutes ces modifications, ainsi que tous les clins d’œil à la scène Black Metal.

Parce que là où le cinéaste est doué, c’est qu’il porte un regard à la fois plein d’empathie, mais aussi sévère sur ces êtres tourmentés qu’il explore. À la fois riche et complexe, les icônes qu’il dépeint sont profondément humaines et touchées par des thématiques mortifères, comme la dépression, le rejet ou le suicide. En explorant cette histoire sous le prisme d’un Teen movie (Euronymous, Varg, Dead ou encore Faust avaient une petite vingtaine), Jonas Åkerlund avait de quoi faire fuir les amateurs du genre. Pourtant, Lords Of Chaos prend tous les meilleurs côtés : la narration à la première personne avec l’appui d’une voix off, tantôt mélancolique, tantôt comique et surtout cette capacité à alterner entre les moments de comédie et une rupture de ton avec quelque chose de bien plus difficile, de plus brutale, parfois sans aucune concession. 

Le réalisateur offre ainsi une porte de réflexion quant aux symboliques de ce mouvement, aux croyances qui en découlent, mais Åkerlund pose surtout la question de l’authenticité d’un mouvement culturel dont nombre de fan hardcore semblent s’inscrire dans une véritable fanatisation, sans pour autant réfléchir aux actes de ces jeunes ados désaxés cherchant un moyen de cracher leur mal-être. Lords Of Chaos, c’est un choc frontal mettant en scène la rivalité entre Euronymous et Varg Vikernes, mais aussi l’opposition totale de points de vue sur la scène et sur certaines positions idéologiques… D’un côté, il y a Euronymous, prêt à tout pour choquer, histoire de faire grimper la popularité du mouvement et de Mayhem et de l’autre, il y a Varg qui voue une haine profonde envers l’église qui a détruit le passé paganiste de son pays.
Jonas Åkerlund use de son savoir-faire pour nous plonger dans cette escalade de violence qui a mené au pire. Certaines scènes sont dignes d’un véritable clip, notamment lors des destructions d’églises où la folie des personnages surgit au travers des flammes, tandis que d’autres explorent de manière plus intime la psychologie des personnages. Lords Of Chaos pourrait se rapprocher d’une vision à la Gus Van Sant dans Elephant, voire dans Last Days, preuve encore une fois de la puissance de cette œuvre. 

Mais ce long-métrage ne serait rien sans ses acteurs qui incarnent à la perfection ces jeunes ados en recherche de repaire, affrontant la mort, la peur du rejet et la folie. Que ce soit Rory Culkin qui interprète le mystérieux Euronymous, Jack Kilmer qui prend les traits de Dead ou encore Emory Cohen qui joue le sulfureux Varg, chaque acteurs semblent investis dans leur rôle, si bien que la frontière entre fiction et réalité est assez fine. Biopic oblige, le réalisateur s’amuse à reprendre quelques images iconiques de cette période, si bien que l’on a véritablement l’impression d’être plongé dans l’âge d’or du Black Metal norvégien.
Si j’ai évoqué le fait que Jonas Åkerlund joue avec les codes du Teen Movie, ce n’est pas pour autant que le réalisateur en oublie la folie, la sauvagerie et la brutalité de cette scène. Le cinéaste joue avec son matériau pour nous plonger corps et âme dans la douleur de ces êtres, dans leur paranoïa et dans leurs excès. Entre satanisme et nationalisme, Åkerlund porte à l’écran les scènes d’automutilation de Dead jusqu’à son suicide et ce, sans aucune concession. L’horreur arrive également sans que l’on s’y attende avec les scènes de meurtres où le réalisateur n’aurait rien à envier à Rob Zombie quant à la froideur qu’il exerce pour les mettre en image. Le réalisateur est cru, n’use d’aucun filtre et laisse un silence pesant se mettre en place.  Les scènes choquent, glacent le sang et nous laissent dans une sensation de vide horrible, parce que le réalisateur nous a permis d’entrer en empathie, par moment, avec chacun d’entre eux.

Lords Of Chaos, c’est plus qu’un simple biopic. C’est un portrait brutal d’une scène qui l’était et qui l’est toujours autant. Jonas Åkerlund use de son talent pour nous faire vivre un moment de l’Histoire qui nous marquera au fer rouge et qui nous hantera pour toujours…

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4 réponses »

  1. Excellent Film qui démystifie un peu le Black Metal des origines (inner circle, varg…). Meilleur que le documentaire sortis il y a quelques années : Until the lights takes us.

    Aimé par 1 personne

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