Cinéma

Climax de Gaspar Noé (2018) : danse macabre

Il m’en a fallu du temps pour vous parler de ce film qui a fait sensation lors de sa sortie en 2018. De toute façon, quel film de Gaspar Noé n’a pas fait sensation ? Le réalisateur nous a toujours habitué à des longs métrages prenant le public de cours en nous proposant un cinéma viscéral, parfois expérimental, toujours dérangeant, voire choquant par bien des aspects. Noé est le genre de réalisateur qui divise la sphère cinéphile. Sulfureux, provocateur et surtout créateur d’un cinéma trash, certains voient ses films comme de véritables oeuvres d’art, tandis que d’autres ne voient ici qu’un produit vide de sens. Plus les années passent et plus je me rends compte que j’appartiens à la première catégorie. Je deviens un amateur de cinéma avide de nouveauté, de moments de grâce et surtout d’une bonne grosse claque. J’aime quand le cinéma m’offre un spectacle sensoriel que je n’ai encore jamais vu et c’est le cas avec ce film.
Le réalisateur revient trois ans après Love, son film érotico-sentimental qui avait défrayé la chronique en obtenant une interdiction au moins de 18 ans dans les salles obscures, pour nous offrir son nouveau cru. Climax a été réalisé en seulement 15 jours, avec une troupe de danseurs et danseuses professionnelles, mais aussi avec des acteurs dont c’est le tout premier film, sauf pour Sofia Boutella.

Naître et mourir sont des expériences extraordinaires. Vivre est un plaisir fugitif. Une troupe de danseurs décide de célébrer le dernier jour de répétition avant d’entamer une tournée en France et aux États-Unis. L’atmosphère est festive, mais bientôt certains commencent à se sentir mal et à se comporter de manière étrange. Quelqu’un a versé de la drogue dans la sangria. La fête tourne rapidement au cauchemar.

Climax : danse macabre

Pour tout vous dire, je ne sais pas comment je vais aborder ce long métrage. Je ne sais pas si je vais me lancer dans une analyse thématique et/ou technique ou tout simplement dans une retranscription de mes émotions. Peut-être que je vais mêler tous ces aspects pour rendre hommage à l’un des films les plus marquants de mon année 2018. Je me souviens de cette séance comme si c’était hier. Je connaissais le travail de Gaspar Noé et j’ai poussé madame à le découvrir directement au cinéma. Je me souviens encore de la voir se recroqueviller sur son siège minutes après minutes. Je me souviens de l’étincelle dans son regard, cette étincelle qui suppliait pour que le film cesse immédiatement, pour que ce cauchemar prenne enfin fin… Expérience traumatisante pour certains et magnifiques pour d’autres. Ne cherchez pas, je suis bizarre.
Climax s’ouvre sur une scène énigmatique. On y voit une jeune fille en sang marcher dans la neige. La caméra la suit, virevolte au-dessus pour nous offrir le générique de fin. On est bien devant un film de Gaspar Noé, tant celui-ci aime ce procédé narratif. Le réalisateur est tout puissant, il annonce une tragédie inévitable pour les personnages…

La suite est assez déroutante. Gaspar Noé nous offre un plan fixe où les protagonistes du film sont interviewés face caméra. Ils racontent tour-à-tour leur amour de la danse, de leurs relations avec les autres membres de la troupe, mais aussi de leur rapport à la drogue. Chaque personnage nous offre une vision assez claire de ce qu’ils sont et surtout de leur névroses. Gaspar Noé nous montre qu’il maîtrise son film et qu’il nous propose sa note d’intention avec les références qui se retrouvent dans le cadre. Climax est un documentaire ou un long métrage ? C’est la question que je me suis posé dans un premier temps, mais j’ai vite été rattrapé par le cinéma du réalisateur.
Parce qu’il y a cette scène de danse incroyable filmée en un seul plan séquence. Une scène hypnotique, légère, virevoltante et qui met une claque à toutes les scènes de La La Land au niveau de la virtuosité. On ne fait qu’un avec la troupe et Gaspar Noé nous offre un quart d’heure d’extase visuelle et sonore. Il nous hypnotise avec sa caméra qui épouse l’espace et on en redemande.

Certains ont vu en Climax une histoire vide de sens, mais à l’esthétisme réussi. Je ne suis pas du tout d’accord sur ce point. J’ai trouvé que Gaspar Noé essayait de nous montrer une communauté qui essayait de bien vivre ensemble, comme dans une utopie. Le réalisateur nous montre une jeunesse qui croit au renouveau, une jeunesse multiculturelle et progressiste qui n’est pas encore désabusée par l’avenir (l’histoire se passe en 1996).
Climax est un long métrage que l’on peut diviser en deux, comme les faces d’un vinyle. D’un côté, Gaspar Noé filme de manière assez sulfureuse en mettant en scène cette jeunesse qui discutent et parlent ouvertement de sexe. On pourra reprocher le manque d’investissement de certains acteurs, mais je trouve que cela instaure d’autant plus ce côté réaliste, voire même cette impression de malaise. La deuxième face du long métrage arrive avec l’abandon de soi et le basculement. C’est dans cette deuxième partie que Climax devient oppressant et claustrophobique. Le point de non retour arrive et on devient spectateur impuissant de cette descente en enfer. Gaspar Noé brise le Moi freudien, puisque la conscience des personnages disparaît pour laisser place à leurs pulsions animales. La danse hypnotique des débuts se mue en une transe effroyable. Alors que l’on s’extasiait devant les corps harmonieux des danseurs, ceux-ci nous offrent des mouvements désarticulés, à la limite du film horrifique. C’est à partir de ce moment-là que l’atmosphère générale devient étouffante et fatigante, si bien qu’on a l’impression que le film s’étire durant des heures, alors qu’il en est rien.

La bestialité est là et les personnages nous le font comprendre avec des actes d’une cruauté sans nom. La piste de danse devient un bal des enragés où l’euphorie laisse place à la folie, à la violence et à la paranoïa. Gaspar Noé renverse sa caméra pour nous offrir un miroir de notre conscience. On lâche prise tout comme les couleurs primaires qui prennent de plus en plus de place rendant hommage au travail de Dario Argento. Le rouge, le bleu et le vert prennent l’ascendant et le réalisateur nous offre des scènes, des visions chocs qui resteront gravées dans nos mémoires. Le collectif, l’utopie se délite. Il n’y a plus de troupe ou d’amitié. Il n’y a plus que le chaos. Gaspar Noé enchaîne les longs plans séquences sur Sofia Boutella qui découvre l’ampleur des dégâts. La musique devient anxiogène, le bad trip se vit en temps réel. On s’essouffle, on ne se sent pas bien. L’Homme devient un monstre sous nos yeux… Puis vient la libération. Les corps sont-ils endormis ou morts ? Nul ne le sait et le réalisateur vient de nous offrir une réflexion sur l’envie de vivre, quitte à nous consumer pour aller toujours plus loin.

 “Naître et mourir sont des expériences extraordinaires. Vivre est un plaisir fugitif”.

6 réponses »

  1. Ça fait un bout de temps que je dois voir ce film. J’aime bien Sofia Boutella, j’ai envie de la voir dans un autre rôle que celui de Kingsman 1er. Ta comparaison avec La la land me laisse songeur. Il y a vraiment des scènes de danse chorégraphiées (et pas juste du contemporain) ? Cela pourrait-il s’analyser en une comédie musicale ?

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    • C’est pour moi le meilleur rôle de Sofia Boutella, du moins là où son talent est vraiment exploité.
      Pour ce qui est de la comparaison, j’y vais un peu fort parce qu’on ne parle pas du même style de danse, mais c’est juste que la caméra de Noé est bien plus impressionnante, à mon goût. Par contre, on ne peut aucunement voir Climax comme une comédie musicale. J’espère que le film te plaira 😉

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  2. Une forte odeur de Suspiria se dégage de ton magnifique texte, confirmée évidemment par l’irruption du nom du maître latin de l’horreur baroque.
    Je connais mal le cinéma de Noé, toujours un peu effrayé par l’exercice de style (à l’instar de Refn). Néanmoins, tu as l’art de me donner l’envie d’aller plus loin, atteindre le climax de cette danse extatique.

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    • Merci pour le compliment sur cet article, j’espère que Climax saura être une expérience forte pour toi et que tu n’y verras pas qu’une veine tentative de choquer sans fond. Bonne plongée dans cette transe et dans ce cauchemar.

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