Au commencement, il y a le roman éponyme de Koushun Takami. Oeuvre incroyablement forte et troublante qui fera couler beaucoup d’encre dans le monde entier, mais encore plus dans son pays d’origine, le Japon. Succès oblige l’oeuvre folle du romancier se voit adaptée au format manga, puis approchée pour en faire une adaptation cinématographique seulement une année après le lancement du roman. C’est Kinji Fukasaku qui sera en charge de ce long-métrage qui en aura marqué plus d’un, que ce soit dans son pays d’origine ou dans le reste du monde. Le rouleau compresseur Battle Royale ne fait que commencer et reste encore inscrit dans la culture populaire au Japon, tout en étant le film favori d’un certain Quentin Tarantino…
Si c’est Kinji Fukasaku qui est derrière la réalisation de cette adaptation, ce n’est pas pour rien, puisque le monsieur s’est spécialisé dans les films chocs, violents. Le réalisateur est un homme marqué, voire traumatisé par la Seconde Guerre Mondiale et cela se distingue dans ses réalisations (Sous les drapeaux : l’enfer (1972), Virus (1980). Bien que Battle Royale reste son plus gros succès populaire, je vous invite tout de même à découvrir ses autres films….
Dans un avenir proche, les élèves de la classe B de 3ème du collège Shiroiwa ont été amenés sur une île déserte par une armée mystérieuse. Un adulte surgit tout à coup devant eux : leur ancien professeur Kitano. Il leur annonce qu’ils vont participer à un jeu de massacre dont la règle consiste à s’entretuer. Seul le dernier des survivants pourra regagner son foyer. Kitano leur présente deux nouveaux élèves très inquiétants. Des coups de feu retentissent pour convaincre les incrédules. Selon la loi de réforme de l’éducation pour le nouveau siècle, ce sacrifice permettra de former des adultes sains. Abandonnés chacun à son sort avec de la nourriture et une arme, les adolescents disposent d’un délai de trois jours pour s’entretuer.

Autant commencer par ce point, mais Battle Royale de Kinji Fukasaku reste une très bonne adaptation, puisque le réalisateur transpose les grandes lignes du roman dans son film choc. Bien évidemment, quelques coupes seront faites pour alléger le tout et pour ne pas plomber la violence visuelle de ce massacre. Les puristes du roman trouveront ce choix discutable dans le sens où l’on perd la totalité du développement psychologique des personnages, ainsi que toute l’explication du contexte derrière le jeu, mais je reviendrais sur ces points.
Kinji Fukasaku ouvre son long-métrage avec une séquence qui restera gravée dans la mémoire des spectateurs. Une foule compacte, des journalistes criants, des flashs à foison et un bus qui longe la route. La championne du Battle Royale arrive. C’est une petite fille qui débarque, un ourson en peluche dans la main, la figure recouverte du sang de ses camarades et un sourire qui fait froid dans le dos. En une seule scène, le réalisateur nous montre toute la folie d’un monde, toute la destruction de la figure de l’enfance au profit du passage à l’âge adulte…

D’un point de vue formel, le Battle Royale de Kinji Fukasaku est un long-métrage d’une violence psychologique profonde et qui ne fait pas dans la surenchère de gore. D’ailleurs, le réalisateur use souvent de contre-champ pour que l’on ne voit pas certaines attaques ou alors utilise l’humour absurde, parfois métaphorique pour désamorcer quelques scènes. Le film de Fukasaku va à cent à l’heure et ne s’encombre pas d’aspect psychologique, afin de développer ses personnages. Ici, le réalisateur use d’un seul archétype pour désigner un élève. On aura l’intello qui récite des problèmes mathématiques, le hacker, la championne d’athlétisme, etc. Le but ici n’est pas de nous faire ressentir des choses pour les personnages, mais bien de nous montrer une masse d’individus qui représente la folie de notre monde. Véritable satire et critique de la société japonaise, mais pas que, Battle Royale montre surtout un monde sans pitié, qui se querelle pour des futilités sans nom… Battle Royale a de quoi surprendre celui qui n’a pas l’habitude du cinéma asiatique (madame en a fait les frais), puisque le ton donné au long-métrage est volontairement outrancier, caricatural jusqu’à l’excès. Le jeu des acteurs est particulier, si bien que l’on peut avoir l’impression que ceux-ci jouent excessivement mal et il y a toujours cette forte envie de mélanger les genres.

Kinji Fukasaku ne parle pas du contexte politique ou du moins celui-ci ne semble pas être le même que dans le roman éponyme de Koushun Takami. Ici, il n’est pas question de la République de Grande Asie, mais d’un pays où l’armée semble avoir un grand pouvoir. Le programme Battle Royale reste en place, mais pour d’autres raisons encore. Le réalisateur nous parle d’une société japonaise qui part à la dérive, mais surtout d’une jeunesse violente envers les adultes…. Le programme est là pour former des adultes sains, des adultes qui ne se rebellent plus contre un monde, qui deviennent tout simplement esclaves de l’ordre établi. Dès lors, Battle Royale s’inscrit dans plusieurs registres comme le film d’action, le survival, mais aussi l’anticipation. Le film devient un miroir d’autres oeuvres de la culture populaire comme Sa majesté des mouches ou encore Orange Mécanique où la violence est au centre de la réflexion. Bien évidemment, on retrouve les mêmes thématiques que l’auteur Koushun Takami exploite dans son roman. Le programme Battle Royale peut-être vu comme un passage à l’âge adulte dans un monde sans pitié où seul le plus fort réussit à s’en sortir, quitte à mettre ses adversaires hors-jeu par la force et la violence.

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Grâce à ton article et la lecture en amont du roman, voilà qui permet d’ouvrir d’autres portes de compréhension du film.
Néanmoins, je pense que la version filmée de Battle Royale a son identité propre, ne serait-ce qu’à travers la mise en scène du jeu télévisé, avec le décompte des survivants à l’écran qui rend le spectateur à la fois voyeur (c’est l’émergence des émissions type Big Brother) et complice de cette horreur. On a évoqué Kubrick aussi dans cette perspective.
C’est aussi le dernier film de Fukasaku je crois et qui, hormis son caractère violent, est assez éloigné de ses anciens films. Faut-il y voir la main-mise de son fils sur le projet ?
Possible. En tout cas, il a fait son effet.
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Et j’oubliais, très important, le choix de Kitano en commentateur pervers, ajoute à la modernité et au second degré puisque celui-ci est connu du grand public japonais comme un irrésistible comique de télé.
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Merci pour ton avis !
Je n’ai pas mis l’accent sur le côté jeu télévisé, mais c’était dans un coin de ma tête. Le réalisateur maîtrise très bien cet effet de voyeurisme et le pire c’est qu’on en redemande. On peut y voir également une vision du jeu vidéo, du moins dans la version fr du DVD, puisque l’on pouvait choisir notre élève lors du menu.
Je confirme que Battle Royale est éloigné de ce que faisait Fukasaku. Je ne sais pas s’il y a eu contrôle du fils, mais le père aurait dû faire le deuxième et on a vu le talent du fils par la suite…
Kitano est parfait. À la fois adulte tortionnaire et adulte enfant avec ses problèmes de famille et son amour pour Noriko. C’est ce film qui m’a permis de découvrir cet acteur et d’en faire mon obsession durant des mois
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