
Il arrive par moment que sa propre Pile à lire n’intéresse pas beaucoup. On la regarde, on retourne chaque roman qui la compose, on réfléchit et on repose tout avec un sentiment désagréable. On en vient à se dire qu’on a plus rien à lire… C’est dans des moments que ceux-là que je pioche au hasard sur les tables de nouveautés à la librairie et que j’emprunte un roman. C’est comme cela que je me suis retrouvé avec Châtiment de Percival Everett, publié aux Éditions Actes Sud. Un roman particulier mêlant enquête policière, dénonciations sociales, le tout avec un humour incroyable.
La 4eme de couverture
Dans ce livre audacieux, provocateur, Everett a le racisme et les violences policières dans le collimateur et déploie son intrigue à un rythme effréné, ne laissant aucune chance au lecteur de détourner le regard.
Il écrit une suite possible, 63 ans après les faits, au lynchage d’Emmett Till, 14 ans, accusé d’avoir sifflé et pris par la taille une jeune femme blanche, Carolyn Bryant. Dans cette comédie noire sur le fil du rasoir, Everett met en scène une série de meurtres violents visant certains des membres de la famille Bryant et fait vivre avec brio cette communauté blanche où subsiste le KKK.
Le duo d’enquêteurs noirs dépêché sur les lieux pour prêter main-forte au shérif local est désopilant à souhait et promet des pages inoubliables dans la confrontation avec les rednecks du cru.
Châtiment : dissection des États-Unis d’Amérique
Avec Châtiment, Percival Everett nous immerge en plein Mississipi dans une enquête particulière et assez violente. L’histoire débute avec la découverte d’un premier corps accompagné de celui d’un homme noir. Les conclusions semblent simples : une bagarre qui a mal tourné. Le problème étant que l’homme noir tient dans ses mains les testicules de l’autre. Comment a-t-on pu arriver à un tel degré de violence ? La police ne s’est pas quoi faire, d’autant plus qu’ils ne sont pas habitués à ce genre d’événement et que nous ne sommes surtout pas en face de lumière. L’enquête piétine et prend une tournure surprenante quand le cadavre de l’homme noir disparaît et qu’il se retrouve sur une autre scène de crime… la police locale passe pour des clowns et on envoie un duo d’enquêteur du MIB pour mener les investigations et tenter de percer à jour le mystère de ce cadavre qui disparaît et réapparaît à sa guise.
Bien que le contexte soit particulier, le mystère reste totale et Percival Everett joue avec son lecteur jusqu’au tout dernier moment. Celui-ci nous permet de suivre l’enquête au plus près, et même d’en savoir un peu plus que tout le monde. Sauf que tout cela ne nous aide pas énormément, puisque nos convictions vont souvent être malmenées par le romancier. Châtiment s’avère donc être un roman policier passionnant et qui nous permet de creuser un peu plus la psyché des habitants de la région. On découvre de nombreux personnages, parfois méchants, surtout bêtes à manger du foin et qui vivent sur des aprioris vieux de plusieurs décennies.
L’enquête va très vite s’accélèrer et va surtout prendre une tournure inattendue. Le romancier nous perd, nous offre plusieurs axes de réflexions et des pistes que l’on suit avec avidité. On veut connaître la vérité, on repère chaque détail, on voit les évidences et on fonce tête baissée dans le piège de Percival Everett. Parce que Châtiment s’avère être finalement bien plus qu’une simple enquête et bien plus qu’un simple roman policier.
L’humour au service des dénonciations
Qu’on se le dise, le fond de ce Châtiment est relativement sombre. Percival Everett nous immerge dans une région hostile, presque arriérée, où le racisme fait encore rage. Le KKK a encore une belle place dans le quotidien de certains habitants et nous ne sommes pas loin d’avoir toujours les mêmes idées qu’au XIXe siècle. Alors imaginez la tension qui émane de cette enquête, surtout lorsque les victimes sont des hommes blancs. La fourmilière a été attaquée, les suprémacistes sont de sortie et ce sont deux enquêteurs noirs que l’on envoie sur place.
Le terreau est parfait pour Percival Everett et il va prendre un malin plaisir à tourner toute cette histoire à la dérision et à taper sur tout le monde. Les dialogues sont savoureux et celui-ci manie l’humour avec un talent indéniable. Tout se joue sur les situations, sur les blagues et surtout sur la bêtise de certains personnages. Tout cela m’a rappelé la scène de la préparation de l’attaque des membres du KKK dans le long-métrage Django Unchained de Quentin Tarantino.
Mais derrière cet humour, c’est un roman noir ultra engagé que l’on découvre. Le romancier évoque avec force les lynchages qui ont existés et qui existent toujours aux USA et au génocide d’une partie de cette population. Châtiment, c’est en quelque sorte un cri, une envie de révolte et le besoin d’exprimer le malheur d’une partie de ce pays. Percival Everett nous offre ainsi un roman puissant, inoubliable à bien des égards et accessible aux plus grands nombres. Le genre de récit qui sème la peur chez ceux qui opprime et qui donne de l’espoir aux opprimés. La vengeance est un plat qui se mange froid chez cet auteur, mais c’est surtout un plat explosif et violent.
En bref, Châtiment de Percival Everett est une surprise inatendue
Vous l’aurez compris, Percival Everett a su me surprendre avec ce roman policier qui se transforme rapidement en un récit engagé. Châtiment est le genre de roman qui dégage une telle force qu’il en devient difficile à lâcher. Bien sûr la partie enquête reste passionnante et l’humour qui jalonne cette histoire permet de le digérer facilement. On gardera en mémoire ce duo d’enquêteur qui met la pagaille dans l’équipe de redneck et cette envie de Percival Everett de tout casser ou du moins de faire peur à une partie de la population des USA qui se croient au-dessus de tout. Une réussite à découvrir au plus vite !
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