
Ophélie Cohen est le genre de romancière a faire une entrée fracassante dans le monde du roman noir. Elle avait brillée avec son Héloïse et elle brille encore une fois avec son nouveau roman Suspicion(s), toujours publié aux Éditions Phénix noir. Cette fois-ci, l’autrice nous immerge dans le cauchemar d’une famille qui se déchire…
La 4eme de couverture
Aaron est un petit garçon plein de vie, rêveur et heureux. Le jour de son dixième anniversaire, son monde s’écroule lorsque son père quitte la maison. Rachel est une mère aimante et une épouse dévouée. Elle perd néanmoins pied lorsque, Hugo, son mari abandonne leur foyer pour se réfugier dans les bras d’une autre femme. Hugo aimait Rachel à la folie. Mais la routine a eu raison de ses sentiments. Sans penser aux conséquences de son acte, il retrouve le frisson de la passion dans les bras de Marie. Nathalie est brigadier-chef. Au menu de son quotidien, violences conjugales, agressions sexuelles et abandon de famille. La découverte d’un corps sans vie, dans le bois de Lèves, va bousculer toutes ses certitudes. Elle se jette corps et âme dans cette affaire, mais en sortira-t-elle indemne ? Quatre personnages. Quatre points de vue. Une histoire sombre. Saurez-vous démêler le vrai du faux de cet enchevêtrement familial ?
Suspicion(s) : histoire d’une famille qui se déchire
Roman choral d’une noirceur éprouvante, Suspicion(s) nous entraîne dans le sillage de quatre personnages qui vont prendre chacun leur tour la parole à travers un texte bouleversant. Les trois premiers qui interviennent sont issus d’une famille détruite. On y retrouve Hugo qui décide la veille du passage à l’an 2000 de quitter sa femme, Rachel et son fils Aaron, dont l’amour pour lui ne suffit plus pour tenir. Dès lors, le petit garçon de dix ans se retrouvera bien malgré lui au centre d’un affrontement sans aucune pitié. Victime collatérale d’une rupture qu’il ne maîtrise pas et qu’il ne comprend pas, Aaron va se confier dans son journal intime, alors qu’il est une victime de plus de la situation. De simple enfant, celui-ci va petit à petit devenir l’instrument d’une vengeance des plus horribles…
Aujourd’hui, j’ai dix ans. On devrait être heureux à dix ans. On devrait être insouciant à dix ans. Et puis, on devrait faire la fête le jour de ses dix ans. Rien de tout ça pour moi. Aujourd’hui j’ai dix ans, et ma vie vient de prendre son premier tournant. »
Parce qu’on ne se rend pas compte à cet âge-là que ce qu’on dit peut être interprété d’une tout autre façon. Il suffira ainsi d’une petite brèche, d’un geste anodin (venir mettre de la crème sur les fesses de son enfant) pour que l’un des deux parents s’engouffre dedans. Ce sera le début d’une descente en enfer pour de nombreuses personnes. Ophélie Cohen évoque avec sensibilité et noirceur la question du divorce et de l’instrumentalisation des enfants lors de ces épisodes. Ici, le cas de Suspicion(s) va très, trop loin et nous assistons impuissant à la destruction de plusieurs vies. Parce qu’on ne se rend pas compte à dix ans du poids que l’on peut avoir dans une névrose. Aaron va en faire les frais, tiraillé entre l’amour pour sa mère et celui pour son père. Il comprendra très vite le tabou des week-ends chez l’un et chez l’autre et l’importance de ne rien dire, voire de transformer une réalité pour faire plaisir à ses parents…
La force d’Ophélie Cohen réside dans la construction psychologique de ses personnages et de l’évolution de notre ressenti au fur et à mesure de notre avancée dans ce récit glaçant. Rien n’est tout blanc ou tout noir, nous assistons à la détresse, l’incompréhension, la rage, la tristesse de plusieurs vies. Si les débuts nous pousse à juger, voire détester le personnage d’Hugo qui est devenu un mari volage et qui quitte sa famille pour sa jeune maîtresse et secrétaire, notre regard changera petit à petit grâce à l’aspect choral de ce roman. C’est le cas également pour le personnage de Rachel où notre empathie entre en jeu immédiatement. Comment ne pas être du côté de cette jeune mère de famille qui se fait tromper chaque jour et qui se retrouve seule du jour au lendemain avec son fils. C’est là que la magie d’Ophélie Cohen débarque, si bien que nous pourrons plus réellement nous fier à notre ressenti ou à notre empathie. La romancière rabat les cartes et c’est un tout autre jeu qui apparaît sous nos yeux. La rage prend place aussi de notre côté et on a l’impression de crier derrière une vitre sans tain…
« Tu sais, Journal, j’ai hâte d’être un adulte. C’est difficile d’être un enfant parce qu’il faut toujours être parfait pour les grands. Ils le voient pas, mais on s’applique toujours à être comme ils veulent qu’on soit.
Difficile de ne pas avoir le cœur en miette lorsque l’on lit les passages du jeune Aaron, tant on se rend compte que celui-ci se transforme petit à petit. Véritable marionnette d’une vengeance sans aucune pitié, l’enfant va être détruit et devra se reconstruire sur les ruines malsaines d’une vie qu’il ne comprend plus. On suit son évolution avec justesse, si bien que l’on passe d’un amour inconditionnel pour son père, à l’indifférence et au deuil de celui-ci. Il ne sait plus comment se protéger, ne distingue plus la vérité du mensonge et se laisse guider par la vengeance aveugle d’une autre personne. Tout ça parce qu’à dix ans, on ne se rend pas compte du mal qui arrive et des armes que certains adultes peuvent utiliser pour nuire…

Un roman du réel
Encore une fois, l’autrice fait preuve d’une écriture de grande qualité. Celle-ci peut être à la fois douce, avec des mots bien choisis pour nous transpercer le coeur, mais également plus vive, plus vindicative pour nous montrer toute la haine qui peut régner dans l’esprit de ses personnages. Suspicion(s) n’est pas le genre de roman à faire dans la surenchère et à nous offrir un rythme dense. Bien au contraire, celui-ci prend son temps pour nous faire entrer dans ce récit horrible. On s’immerge dans cette séparation et dans cette guerre pour détruire l’autre, quitte à détruire l’innocence et bien encore chez son enfant. On finit par ne faire plus qu’un avec cette histoire, à ne penser qu’à elle et à passer par de nombreuses émotions. Ophélie Cohen fait encore preuve d’une justesse folle dans ses écrits et nous offre un roman d’une simplicité incroyable. Bien plus qu’un roman noir, Suspicion(s) est un roman du réel qui fait bien mal. Le genre de récit qui reste graver en nous.
C’est dans ce côté réaliste que la quatrième personne intervient dans ce récit et elle se nomme Nathalie. Brigadier chef à la brigade des mineurs, en charge d’une affaire suite à la découverte d’un corps dans une forêt durant l’année 2022. Meurte, suicide ? Rien n’est clair et vous aurez compris que les deux histoires vont finir par se rejoindre. Il n’y aura pas ici d’enquête explosive et à la tension permanente comme on peut le voir dans de nombreux thrillers. Ophélie Cohen évoque avec justesse la réalité du terrain et les difficultés que rencontrent les agents au quotidien par manque de moyens. On sent que la romancière a connu ce genre d’affaires dans son passé, tant on ressent la sincérité qui se dégage de chaque mot. L’enquête prend ici tout son temps pour déceler la vérité du mensonge, tant le cas est complexe. La difficulté d’exercer cette tâche est au cœur de tout et comme nous, l’histoire d’Aaron va chambouler notre enquêtrice. Cette affaire, c’est le genre à nous suivre chaque jour, et même dans notre vie privée. Difficile donc de laisser l’histoire de ce jeune garçon sur le pas de la porte et on se rend compte de l’importance pour les forces de l’ordre d’être écoutés et suivis au quotidien.
En bref, Suspicion(s) est un roman coup de poing
Vous l’aurez compris, Ophélie Cohen réussie le pari de nous offrir un second roman tout aussi exceptionnel que son premier essai. Suspicion(s) est un roman du réel, un roman coup de poing qui mettra notre empathie à mal. C’est le genre de récit à nous tenir en haleine, à nous marquer à vie, tant la romancière évoque avec force et justesse cette thématique de l’enfant instrumentalisé. Cerise sur le gâteau, l’autrice enfonce le clou avec une dernière partie qu’on lit en apnée et qui pousse notre imagination encore plus loin. Si vous ne deviez lire qu’un seul livre ce mois-ci, c’est bien sur celui-ci qu’il faut se jeter !
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Un roman poignant et nécessaire !
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